Le numérique possède un impact significatif sur l’environnement. Oui, mais on peut utiliser le numérique pour limiter également les impacts environnementaux d’autres secteurs. Les bienfaits du numérique peuvent-ils compenser les impacts de ce dernier ? C’est la question que s’est posée l’ADEME dans son rapport “ Evaluation environnementale des effets directs et indirects du numérique pour des cas d’usage paru en novembre 2025.
Dans ce rapport, le groupe de travail s’est penché sur des cas d’usage plutôt favorables à l’introduction d’optimisation avec des outils numériques. Voici les cinq cas d’usage :
- Numérisation de l’éclairage public
- Pilotage dynamique des lignes haute tension
- Numérisation d’une offre de gestion de pneumatiques
- Evolution du télétravail
- Optimisation de l’épandage d’engrais azotés
Dans cet article nous allons détailler la méthode utilisée dans le cadre du télétravail car cet usage me semble le plus facile d’accès. Puis nous analyserons les données dans leur ensemble et nous verrons quelles conclusions en tirer.
Spoiler :
Cette étude nous oblige à dépasser le mythe d’une unique solution numérique miracle. Le numérique peut être un allié, à condition de le piloter avec sobriété, d’anticiper ses potentiels effets néfastes comme le rebond, et de l’inscrire dans une stratégie de transition globale, plutôt que de le voir comme un unique levier d’optimisation. Se contenter de ce seul levier serait une erreur ; l’urgence est d’investir dans des efforts de décarbonation et d’économies de ressources bien plus profonds. Il s’agit de choisir le juste niveau de technologie au service d’un besoin réel, et non l’inverse.
Erwan Fangeat, coordination de l’étude
Méthodologie appliquée pour le télétravail
Contexte proposé
Pour ce travail, l’ADEME propose une étude prospective à l’horizon 2035 avec trois scénarios : augmentation du télétravail, statut quo ou réduction. Ces scénarios ont été appliqués dans trois contextes avec des aires d’attractions de tailles variables (50 000 à 200 000 habitants, 200 000 à 700 000 habitants et plus de 700 000 habitants).
Par mesure de simplification, je vais uniquement comparer le statut quo avec l’augmentation du télétravail pour les agglomérations de plus de 700 000 habitants.
L’augmentation du télétravail est basée sur des données INSEE. On estime que tous les actifs avec un métier “télétravaillable” souhaitant télétravailler davantage se retrouvent dans cette situation en 2035. Cela implique une augmentation de la population impliquée dans le télétravail ainsi le nombre de journées télétravaillées par semaine. Voici le pourcentage de la population active concernée par le télétravail :
| Catégorie socio-professionnelle | Statut quo | Augmentation |
|---|---|---|
| Cadres | 50,5 % | 66,9 % |
| Professions intermédiaires | 17,6 % | 38,4 % |
| Employés | 8,0 % | 30,6 % |
| Ouvriers | 0,4 % | 0,4 % |
Au total, on passe de 17.4 % de la population qui télétravaille a 32 %. Soit près du double. Cette évolution est envisagée comme progressive d’année en année entre 2023 et 2035.
Effets identifiés
De nombreuses conséquences à l’augmentation du télétravail ont été identifiées, voici celles qui ont été évaluées :
- Effets directs
- Déploiement et usage d’équipements informatiques dédiés au télétravail
- Évolution de l’usage des réseaux d’accès fixe
- Effets indirects
- Évolution du nombre de kilomètres parcourus par semaine par télétravailleur pour les trajets domicile-travail
- Évolution du nombre de déplacements hors domicile-travail
- Moindre augmentation des impacts des déplacements liés à des parts modales différentes
- Évolution de la consommation énergétique liée au chauffage et à la climatisation du domicile
- Achat de nouveaux équipements divers pour le télétravail (siège, etc.)
- Évolution de l’ouverture hebdomadaire des entreprises
- Effets systémiques
- Réduction des besoins en espaces de travail et des besoins de construction
Pour chacun de ses effets, il a fallu faire des hypothèses pour estimer les gains et les pertes. Par exemple pour les équipements informatiques dédiés au télétravail, il a été estimé que chaque personne devait se procurer un 2e écran, un casque audio, une souris et un clavier. Je ne vais pas tenter de résumer l’ensemble des hypothèses qui sont documentées dans le rapport qui est librement disponible.
Comme toujours, ces hypothèses tendent à être étayées par des informations factuelles quand cela est possible. L’ensemble a fait l’objet d’une revue critique.
Résultats
L’étude quantifie les impacts du télétravail suivant 5 indicateurs en fonction des scénarios retenus
| Indicateur | Statut-quo | Augmentation télétravail | Différence |
|---|---|---|---|
| Réchauffement climatique (GWP) | - 1.3 E 8 | -1.9 E 8 | + 49 % |
| Consommation de ressources énergétiques non renouvelables (ADPf) | - 8,8 E 8 | -1.8 E 9 | + 100 % |
| Consommation des métaux et minéraux (ADPe) | + 1.3 E 2 | + 1.3 E 3 | + 900 % |
| Emissions de particules (PM) | - 4.7 | -6.2 | + 32 % |
| Utilisation de l’eau (WU) | + 8.1 E 6 | + 4.3 E 6 | - 47 % |
Pas facile de lire ce tableau… Voici comment lire la première ligne : “Le télétravail tel qu’il est appliqué actuellement permet de diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 1,3 E 8 kg CO2eq. Si on augmentait, on diminuerait les émissions de 1.9 E 8 kg CO2eq, soit une diminution 49 % plus importante qu’actuellement.”
Il est à noté que le télétravail a un impact négatif sur la consommation de métaux et l’usage de l’eau. Cela s’explique :
- le télétravail augmente la consommation énergétique à domicile. Or, la production d’électricité par exemple consomme beaucoup d’eau.
- les économies de métaux réalisées sur les trajets domicile-travail ne sont pas suffisantes par rapport à l’équipement en matériel informatique et l’augmentation de la consommation d’énergie à domicile.
On remarque que l’augmentation du télétravail vient généralement augmenter les gains ou les pertes sauf dans le cas de l’eau. Cela est dû à la prise en compte dans le scénario d’augmentation d’une fermeture périodique des bureaux (qui n’était pas présente dans le scénario statut quo).
On notera également que, dans cette analyse systémique, l’augmentation du télétravail a tendance à avoir un gros impact sur la consommation de métaux, alors que les gains sur le climat ou les émissions de particules sont plus réduits.
Apport environnemental du télétravail
Maintenant, on voit que sur les 5 indicateurs, le télétravail vient alourdir les impacts sur 2 d’entre eux et limiter les impacts sur 3 indicateurs. Du coup, on peut se demander si cela est réellement bénéfique. Pour cela je propose de comparer les impacts avec les limites planétaires du JRC (Joint Research Centre) .
Clé de lecture : “Le télétravail au niveau d’une aire d’attraction de 700 000 habitants permet de réduire les émissions mondiales de GES de 0,0019 % de la limite planétaire.”
Il apparaît assez clairement que le télétravail est quelque chose de bénéfique pour l’environnement. L’augmentation de la consommation en eau et métaux est peu significative par rapport aux gains sur le climat et les émissions de particules.
En revanche, on constate également que l’augmentation du télétravail ne représente qu’un gain marginal pour l’environnement.
Analyse des cinq cas étudiés
De manière générale, le groupe de travail souligne que l’analyse quantifiée montre généralement des effets bénéfiques pour l’environnement pour les cinq cas d’usage étudiés. Toutefois, les gains observés restent modestes par rapport aux objectifs environnementaux nécessaires pour préserver la planète.
Mise en perspectives des différents cas
Numérisation de l’éclairage public
Une numérisation de l’éclairage contribue à hauteur de 0,23 % aux objectifs de réduction de l’empreinte carbone de la ville.
Pilotage dynamique des lignes de haute tension
Les émissions de gaz à effet de serre évitées dans ce cas d’usage représentent 0,36% de l’effort de décarbonation du sous-secteur de la production d’électricité en France d’ici 2030.
Numérisation d’une offre de gestion de pneumatiques
Au-delà de 1% d’augmentation de ces activités, induite par une réallocation des économies d’énergie réalisées, les gains environnementaux obtenus seraient totalement anéantis.
Télétravail
La massification du télétravail pourrait contribuer à hauteur de 3,03% à l’effort de décarbonation de l’usage des voitures d’une aire d’attraction comme Montpellier d’ici 2030.
Optimisation de l’épandage d’engrais
L’analyse est difficile car dépendante de paramètres liés à l’exploitation agricole optimisée. Mais ce type de solution ne se substitue pas aux efforts de transition déjà planifiés, tels que la diminution de l’usage d’engrais minéraux, l’augmentation des couverts végétaux ou l’augmentation de la part de cultures de légumineuses.
Comparaison avec la SNBC 3
Lorsque cela était possible, le groupe de travail a mis en perspective les résultats obtenus par les différentes solutions numérique avec la Stratégie nationale bas-carbone (SNCB 3) . Il s’agit de la stratégie de l’état français pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 avec des jalons par secteur et par période.
| Cas d’étude | Contribution à la SNBC | Secteur |
|---|---|---|
| Numérisation de l’éclairage public | 0,23 % | Ville |
| Pilotage dynamique des lignes de haute tension | 0,36% | Sous-secteur production électricité |
| Télétravail | 3,03% | Transport automobiles d’une aire d’attraction |
Conclusion
Le constat qui vaut pour le télétravail semble également s’étendre aux autres cas d’usage. Certes, il y a toujours des gains, mais ces derniers sont généralement plutôt timides par rapport aux exigences environnementales.
Pour rappel, les cas d’usage ont été sélectionnés puisque ce sont ceux où on imagine que le numérique possède l’impact le plus favorable. Or on se rend compte que si le numérique propose de réelles améliorations, cela ne suffit pas pour atteindre une réelle durabilité.
On peut voir le numérique comme une contribution pour limiter les impacts, mais la sobriété des usages reste la solution à privilégier.