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SIMBIOS
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Une question qui agite parfois les spécialistes de la transition écologique est la possibilité de résoudre la question des limites planétaires avec des solutions techniques sans avoir à changer notre mode de vie.

Il ne peut pas y avoir de croissance économique infinie dans un monde fini.

On avance souvent un argument massue avec le couplage PIB-CO2 pour prouver que les technico-solutionistes ont tort.

Couplage CO2 et PIB

Depuis 1870, la croissance économique (qu’on mesure avec le produit intérieur brut) est couplé aux émissions de gaz à effets de serre (et en particulier le dioxyde de carbone, CO2). En effet, si on regarde l’évolution sur un graphique, on voit clairement une quasi proportionnalité.

L’argument qu’on entend généralement ensuite, c’est que cela fait 150 ans qu’on ne sait pas faire de croissance sans émettre de CO2. Il faut donc nécessairement diminuer notre production et donc notre consommation pour diminuer notre impact climatique.

Graphique montrant la corrélation entre le PIB et les émissions de CO2 mondiales entre 1870 et 2020

Nous allons voir en quoi cet argument ne prouve rien du tout. Pour une totale transparence, vous trouvez les données brutes et les sources plus bas.

La courbe se tasse, non ?

Déjà, on peut voir que les émissions de CO2 sont en train de se stabiliser alors que la croissance est toujours au rendez-vous. Bon, à ce jour, les incréments de PIB impliquent toujours des incréments d’émissions de gaz à effet de serre, mais ces derniers sont moins importants que dans les années 60-70.

Que s’est-il passé avant 1870 ?

Le monde économique est en croissance depuis toujours. Cela n’a pas commencé avec la révolution industrielle. Quand on regarde ce qui s’est passé avant 1870, on se rend compte que le ratio PIB/CO2 était plus de 5 fois supérieur à ce que l’on connait de nos jours.

Cela prouve qu’on a su faire de la croissance sans les énergies fossiles par le passé.

Comme promis voici les données brutes :

Année PIB (en dollars ajustés) CO2 (en tonnes) PIB/CO2
1820 1 358 590 000 000 50 733 076 26779
1850 1 726 111 000 000 196 751 970 8773
1870 2 267 787 000 000 533 338 270 4252
1900 4 064 112 000 000 1 952 209 500 2082
1920 5 153 196 000 000 3 521 427 500 1463
1940 8 344 306 000 000 4 861 346 000 1716
1950 10 033 885 000 000 5 929 342 000 1692
1960 15 806 335 000 000 9 386 421 000 1684
1970 26 031 312 000 000 14 898 157 000 1747
1980 38 043 760 000 000 19 482 442 000 1953
1990 51 333 923 000 000 22 752 700 000 2256
2000 68 253 130 000 000 25 501 286 000 2676
2010 96 657 685 000 000 33 306 330 000 2902
2020 126 510 440 000 000 35 007 738 000 3614

(source : Our World in Data : CO2 et PIB )

Le contre-exemple avec le dioxyde de soufre

On a vu dans l’article sur l’acidification que les activités humaines et en particulier l’utilisation d’énergies fossiles pouvait émettre du dioxyde de soufre (ce qui provoque notamment les pluies acides).

Laissez-moi vous montrer le couplage des émissions de dioxyde de soufre avec le PIB mondial entre 1850 et 1980.

Graphique montrant la corrélation entre le PIB et les émissions de SO2 mondiales entre 1850 et 1980

(source : Our World in Data : SO2 et PIB )

Cela ressemble beaucoup à notre graphique sur le gaz carbonique, non ?

Sauf qu’en 1980, il y a eu une véritable prise de conscience sur l’impact des pluies acides. Le monde s’est donc mis en action pour limiter les émissions de SO2. On va compléter le graphique précédent avec les années 1990, 2000 et 2010.

Graphique montrant la corrélation entre le PIB et les émissions de SO2 mondiales entre 1850 et 2010

Impressionnant, non ? Ce n’est pas parce que pendant près de 150 ans, nous avons connu un fort couplage entre SO2 et PIB que cela était une fatalité. Et encore, les progrès de la Chine sur ce point ont commencé en 2015, donc si j’avais eu les données de 2020, la courbe aurait encore plus baissé !

Alors, il peut y avoir une solution technique ?

L’argument du couplage PIB-CO2 ne fonctionne pas pour prouver qu’ “il ne peut pas y avoir de croissance économique infinie dans un monde fini”. Mais cela ne signifie pas pour autant que cette assertion est fausse.

Dans l’exemple de l’acidification, nous avions des solutions techniques pour résoudre en grande partie le problème. C’est ce qui nous a permis d’avancer relativement rapidement dans la limitation l’impact anthropique sur ce point.

Pour le dérèglement climatique, on va voir que les opportunités techniques sont moins évidentes.

Quelles solutions techniques avons-nous pour limiter le déréglement climatique ?

Production d’électricité

Aujourd’hui, la grande majorité de la production électrique est d’origine fossile . Des centrales à charbon sont encore construites chaque année. Si nous avons des solutions de production d’énergie bas carbone, l’ensemble des réseaux d’électricité ont besoin des énergies fossiles pour ajuster la production à la demande. Des solutions existent sur le papier mais nécessitent encore de passer l’épreuve du feu pour être validées.

Nous avons besoin de modifier l’ensemble de nos centrales pour opter pour des solutions bas carbone. Il s’agit d’un défi de le réaliser avant que le réchauffement ne soit trop important. Il est probable que nous rencontrerions de nouvelles difficultés lorsque nous aurons une majorité de l’electricité d’origine renouvelable ou nucléaire.

Quelques technologies émergentes semblent intéressantes mais ne sont pas encore au point :

  • la fusion nucléaire
  • nouvelle génération de réacteurs nucléaires permettant d’utiliser comme combustible les dechets de nos centrales actuelles

Transport

Nous avons des solutions techniques pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre liées au transport avec l’usage de moteurs électriques ou à hydrogène. Malheureusement, ces technologies reportent le problème sur la génération d’électricité. De plus dans le cas des véhicules électriques, il y a des questions qui se posent sur la disponibilité de métaux et d’autres indicateurs écologiques.

A ce jour, aucune solution bas carbone ne semble émerger pour l’aviation.

Alimentation

Les impacts environnementaux de l’industrie agro-alimentaire semblent à ce jour pouvoir se résoudre uniquement en modifiant profondément notre manière de penser l’agriculture. Cela aura un impact majeur sur nos modes de vie.

Captage du CO2

Des technologies émergeantes visent à diminuer les émissions de CO2 à la source de production voire directement dans l’atmosphère. (voir l’ article de l’IFPEN sur ce sujet ).

Ces solutions doivent encore faire leurs preuves à grande échelle. De plus, pour fonctionner, elles nécessitent de l’énergie supplémentaire, ce qui va encore alourdir la charge sur nos réseaux électriques.

Une solution technique pour sauver le climat

A l’inverse des émissions de SO2 (ou de NOx), nous n’avons pas encore de technologie émergeante permettant de nous projeter vers une solution qui permettra de conserver nos modes de vie.

Déjà actuellement, alors même que nous disposons de modes de production d’électricité bas carbone (énergies renouvelables, nucléaire…) nous ouvrons encore de nos jours beaucoup de centrales fonctionnant aux énergies fossiles.

On pourrait espérer que le futur nous réserve des innovations qui permettent de résoudre l’ensemble de nos problèmes environnementaux, mais cela semble un pari extrêmement risqué.

La sobriété, seule solution à envisager

On peut dire que la prise de conscience du dérèglement climatique a commencé à améliorer les choses. En effet, on tire davantage de richesses de l’émission d’une tonne de gaz à effets de serre aujourd’hui qu’en 1960. Mais, sauf innovation majeure et non anticipée, les solutions techniques ne pourront faire qu’une partie du chemin que nous devons parcourir pour arriver à une situation pérenne environnemantalement.

La solution la plus sûre aux problèmes environnementaux reste de surveiller notre consommation. Plus nous nous lancerons tôt dans une vie avec une consommation limitée, moins nous subirons ce changement et plus il sera agréable.

A mon sens, la première étape consiste à redéfinir la notion de richesse.

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