L’email est devenu pour une majorité d’entre nous une commodité. Nous l’utilisons tous les jours sans réellement penser aux rouages qui se trament derrière leur fonctionnement… Prenons aujourd’hui quelques minutes pour prendre du recul sur cet outil.
Plusieurs critères sont à prendre en compte quand on choisit comment on va gérer ses emails :
- le coût financier de l’outil
- l’expérience utilisateur
- les impacts environnementaux
- la sécurité des données
- la souveraineté
Les deux premiers critères sont extrêmement importants, mais ils sont tellement visibles et évidents que je vais peu ou pas les traiter dans cet article. Nous allons plutôt nous intéresser aux autres critères. Pour cela, on s’intéressera d’abord à la solution mise en place pour gérer les emails, puis aux usages.
Solutions pour gérer les emails
Les solutions d’emails qui existent sur le marché ne permettent malheureusement pas d’avoir une claire vue sur ce qu’il se passe côté serveur. Aucun acteur n’a proposé d’analyse environnementale digne de confiance à ma connaissance. De même, en ce qui concerne la sécurité et la confidentialité des données, on ne peut rien vérifier. Il s’agit donc d’avoir confiance en votre service sur leur politique environnementale et leur politique de gestion de données.
A ce jeu, l’idéal, ce serait d’avoir son propre serveur mail. Mais il s’agit d’un calvaire à gérer. La plupart des entreprises préfèrent elles-mêmes déléguer ce savoir-faire à des spécialistes plutôt que de tous gérer en interne… alors à l’échelle personnelle, c’est un luxe que seule certaines personnes bien accrochées.
Il faut donc choisir son prestataire en se fiant à ses valeurs ou plus raisonnablement aux actions qui prouvent un vrai engagement plutôt qu’une charte éthique sans fond. Il reste tout de même des critères vérifiables.
Éviter les solutions non-européennes
Comme on a pu le voir ensemble dans l’article précédent, travailler avec des solutions américaines comporte de nombreux risque, notamment dans le cadre géo-politique actuel et avec l’application potentielle du Cloud Act. Cela exclut donc les solutions Gmail, Outlook, Microsoft365 ou encore iCloud Mail.
Je ne suis pas un expert en droit international, mais à l’heure actuelle, je préfère m’éloigner des solutions russes, chinoises ou indiennes. Au revoir donc Yandex, Zoho ou QQ.
De manière générale, l’Europe est relativement bien armée d’un point de respect des utilisateurs/trices. Il vaut mieux donc privilégier les solutions européennes.
Localisation des serveurs
Pour réduire la latence et moins mettre de pression sur le réseau, il convient de choisir un service dont les serveurs ne sont pas trop éloignés. De même, il est important de vérifier la qualité du mix électrique du pays considéré (sur ElectricityMaps par exemple).
Pour un usage en France, les serveurs doivent donc se situer en France ou en Suisse. On verra pourquoi j’inclus la Suisse un peu plus loin dans cet article.
Facilité pour changer de solution
En choisissant un prestataire pour gérer nos mails, nous nous engageons en quelques sortes avec une autre organisation. Il convient donc de minimiser les risques que cet acteur prennent des décisions qui impactent la qualité de service ou qui vont à l’encontre de nos valeurs.
La pire ficelle que l’on puisse avoir c’est un mail qui est attaché à un autre service. Je pense notamment aux solutions de boîtes mails proposées par les fournisseurs d’accès internet. Si on souhaite changer de fournisseur, il faudra également gérer un changement d’email.
Or changer une boite mail qu’on utilise depuis de longues années, c’est une tâche laborieuse. Il faut prévenir tous les contacts, gérer plusieurs boites mails pendant de longs mois, changer les emails sur l’ensemble des services numériques utilisés…
Pour éviter ce problèmes, je vois trois stratégies :
- choisir le fournisseur le plus en adéquation avec ses valeurs et espérer que la symbiose va perdurer
- choisir un fournisseur public ou pseudo-public (comme La Poste ou la Suite Numérique )
- lier ses emails à son propre nom de domaine afin de pouvoir changer de fournisseur sans changer d’email. Par exemple, je possède le nom de domaine simbios.fr qui permet de trouver ce site internet mais qui me permet également d’avoir des emails type [email protected]. Cette démarche peut tout à fait fonctionner à un niveau personnel.
La troisième solution possède un coût, puisque qu’un nom de domaine coûte généralement une douzaine d’euros par an. Ensuite, les services proposant les noms de domaines proposent généralement un service mail très accessible (0€ - 2€ par mois)
Certaines solutions d’emails proposent également un fonctionnement avec un domaine personnalisé. Mais cela est généralement réservé aux offres payantes (4€ - 12€ par mois).
Prises de positions de l’éditeur
Au delà des différentes chartes éthiques et environnementales que l’on peut trouver chez les différents fournisseurs. Il est intéressant de voir leurs différentes prises de position. Voici quelques exemples :
- Infomaniak réutilise la chaleur de son datacenter pour chauffer des bâtiments .
- Suite à la mise en place d’une loi de surveillance en Suisse, Proton commence à déménager ses serveurs en Allemagne et Norvège .
- L’Europe inflige à Google une amende de 3 milliards d’euros pour concurrence déloyale .
A vous de valoriser les acteurs les plus en phase avec vos valeurs en privilégiant leurs services.
Présentation des quelques solutions mails éthiques
Les hébergeurs
Difficile de proposer une méthode pour différencier les différents hébergeurs qui existent. Je ne liste ici que les services français qui garantissent un hébergement en France :
Tous les hébergeurs que j’ai eu l’occasion de tester proposent la première adresse email gratuite si vous achetez un nom de domaine chez eux.
Proton
Proton est un éditeur suisse qui propose une suite logicielle qui inclut l’email. Proton est très engagé dans le droit des personnes et la gestion des données. Ils sont également un acteur important pour le logiciel libre.
Il s’agit d’une alternative éthique aux outils Google et Microsoft. Il faudra par contre débourser 4€ par mois pour l’utiliser avec un nom de domaine personnalisé.
Infomaniak
Infomaniak fait également figure d’alternative aux outils Google et Microsoft avec sa suite logicielle kSuite qui se base essentiellement sur des outils libres. Il s’agit également d’un éditeur Suisse.
Infomaniak possède une politique environnementale très ambitieuse . C’est la solution qui a été retenue pour gérer les emails de Simbios.
Tuta mail
Tuta est un éditeur allemand qui propose une suite mail + calendrier. C’est une solution majoritairement Open Source qui est soucieuse de respecter la vie privée. Tuta propose également une offre gratuite. Il est par contre vraisemblable que les serveurs soient localisés en Allemagne.
Mailo
Mailo est un éditeur français. Il propose une suite complète hébergée en France. L’offre gratuite inclut des publicités, ce qui me semble peu en phase avec leur valeur de respect de la vie privée.
Posteo
Posteo est un éditeur allemand. A l’instar d’Infomaniak, ils possèdent un réel engagement environnemental .
Ils proposent une messagerie sans publicité pour 1€/mois. Il n’est pas possible d’avoir un domaine personnalisé et les serveurs sont vraisemblablement localisé en Allemagne.
La Poste
La Poste propose également un service mail gratuit. L’entreprise étant publique, elle oeuvre en priorité pour le bien comment (avant de penser aux bénéfices). Dans les engagements, le groupe met un accent important sur un numérique éthique et responsable .
Le service mail n’est par contre pas compatible avec un domaine personnalisé.
BlueMind
BlueMind est une solution d’email pour les organisations. Il s’agit d’un acteur français très impliqué dans l’Open Source . La solution est à héberger soit même.
Avoir un usage raisonné des emails
Maintenant que nous avons choisi notre service mail en toute conscience, il s’agit d’avoir un usage responsable. Pour cela, on va pouvoir se baser sur la base des impacts d’un service numérique proposée sur Simbios.
Voici plusieurs pratiques répandues pour limiter l’impact environnemental des mails.
On verra qu’elles ne se valent pas toutes, voire que certaines peuvent s’avérer contre-productives !
Limiter l’encombrement des boîtes mails
Trier périodiquement ses mails
De nombreuses initiatives dont le Digital Cleanup Day vous proposent de suaver la planète en supprimant vos emails.
Voyons si on peut quantifier l’impact de cette actions. En supprimant mes vieux mails, je viens diminuer leur durée de conservation. Dans la base impacts, on peut voir les impacts environnementaux de 1 ou 10 ans de stockage cloud. C’est exactement ce que l’on réalise quand on vient annuellement vérifier ses emails pour supprimer ceux qui sont inutiles : on diminue leur stockage de 10 ans à 1 ans.
En terme de gain carbone, cette action permet d’économiser 13,7 g CO2eq par Go de données supprimées. Cela peut paraître anecdotique à l’échelle individuelle, mais si un grand nombre de personne s’y met, cela peut avoir un impact intéressant.
Seulement, la suppression de ces emails a également un impact. Sans tenter une estimation de l’impact côté serveur, on peut déjà regarder l’impact de l’usage de votre ordinateur. Toujours dans la base impacts, on constate qu’en moyenne un PC en France possède un coût carbone de 197 kg CO2eq sur l’ensemble de sa vie. Cela correspond à 31 g CO2eq par heure d’utilisation.
Pour l’action de suppression des mails soit efficace d’un point de vue carbone, il faut donc réussir à supprimer au moins 1 Go de données en moins de 30 min. Autrement dit, le tri périodique d’une boîte mails peut avoir un impact néfaste sur le climat. Notamment lorsqu’il nous faut du temps pour vérifier quels sont les emails que l’on peut supprimer.
Ceci dit, on ne peut pas laisser nos boîtes se remplir éternellement. Il vaut mieux donc privilégier une autre méthode
Avoir une gestion de la durée de vie des messages
L’idée est d’éviter la tâche fastidieuse et énergivore du tri annuel des mails, tout en s’assurant que chaque message possède une durée de stockage limitée. Je vais vous présenter ici ma méthode, si cela vous parle, vous pourrez l’adapter à votre contexte.
Dans ma boite de réception, je ne conserve que les mails que je dois traiter. Tant qu’ils sont là, ils m’encombrent et viennent alourdir ma charge mentale. Je dois donc les traiter relativement rapidement. Soit par une lecture d’un contenu, soit par une réponse, soit par une action qui est requise pour traiter le mail.
Si le traitement de ce mail est trop long, je vais renseigner l’action attendue dans un autre outil (calendrier, kanban…). Si le mail contient une information qui est importante, mais pas utilisable immédiatement, je peux soit :
- archiver le mails pour pouvoir retrouver l’information pendant 1 an
- noter l’information dans un événement calendar pour qu’elle me soit proposée au bon moment
- stocker l’information (généralement un document) dans un espace dédiés (NextCloud)
Pour le cas des emails auxquels j’attends une réponse, j’ai deux poids deux mesures. Côté perso, cela n’arrive pas si souvent. Donc je laisse les emails dans la boite de réception pour que je pense à relancer jusqu’à recevoir une réponse. Côté pro, c’est plus régulier. Je m’astreins donc à noter ces relances dans un CRM ou dans un outil de suivi des tâches. Cela permet également de gérer les différents canaux de communication (mails, SMS, LinkedIn, discussions…)
Mes règles :
- La boite de reception doit être la plus vide possible. Je n’accepte pas d’avoir plus de 5-6 messages en attente de traitement.
- Les messages archivés ont une durée de vie limitée (1 an). Ils s’effacent automatiquement passé ce délai. Je connais cette règle au moment de l’archivage.
- Les mails n’ont pas vocation à faire de l’archive de données longue durée. Si c’est important, il faut que ce soit structuré dans un outil dédié.
Pour des raisons de simplicité je ne gère qu’une seule archive, mais j’avais imaginé faire deux archives (une avec une durée de vie d’un mois et l’autre avec une durée de vie d’un an).
Limiter le nombre de destinataires
Dans la base impact, on voit que l’on peut drastiquement limiter l’impact d’un message en limitant le nombre de destinataire. Il faut donc être attentif aux personnes que nous mettons en copie.
Limiter les pièces-jointes
Je vous invite à jouer avec les différentes configurations dans le détail des indicateurs des impacts mails. Vous vous rendrez compte notamment que la pièce jointe n’a quasiment oas d’impact pour les envois/réceptions à partir d’un réseau fixe. Cela est dû au fait que les impacts du réseau fixe sont très peu proportionnels au volume de données qui transitent.
En revanche, la pièce jointe possède un impact plus important avec l’emploi d’un réseau mobile. Comme on ne maîtrise pas forcément le réseau que vont utiliser les destinataires, c’est une bonne idée de favoriser de proposer les fichiers via un lien de téléchargement. Cela permet aux destinataires de choisir si ils ont besoin de télécharger les fichiers et comment ils le feront.
Se désabonner des newsletters non lues
Le cas classique, mais c’est important de bien choisir les emails qu’on reçoit. Parce que l’email qui a le moins d’impact, c’est l’email qu’on ne reçoit pas.
Déculpabiliser sur l’imapct environnemental des mails
Ce dernier point est extrêmement important. Certaines personnes ont tendance à diaboliser l’usage des mails. Mais la réalité, c’est que les mails ne constituent pas l’usage numérique qui possède les plus importants impacts environnementaux.
Limiter la qualité d’une heure de streaming vidéo mobile de 4K à 1080p permet d’économiser 99 g CO2eq. Cela correspond à :
- enlever la pièce jointe de 1 650 emails
- effacer 7 226 Go de données sur le cloud (sans compter la consommation de votre PC)
Allonger la durée de vie d’un smartphone de 6 mois permet d’économiser environ 15 kg CO2eq soit :
- enlever la pièce jointe de 250 000 emails
- effacer 1 094 890 Go de données sur le cloud (sans compter la consommation de votre PC)
Bref, mieux vaut commencer sur le nombre d’équipements numérique et leur durée de vie avant de penser aux emails !